31 décembre 1946 : le corps d'un garde-chasse criblé de plombs est découvert gisant dans un étang de la Brenne. Trois cours d'assises condamnent pour ce meurtre deux braconniers, Raymond Mis et Gabriel Thiennot. Au soir du troisième verdict, rendu à Bordeaux en 1950, l'affaire semble close et Maurice Garçon, l'avocat de la partie civile, pense pouvoir archiver son dossier.
Trente ans plus tard, plusieurs livres fondés sur des approximations, des hypothèses fantaisistes et des ragots proclament urbi et orbi l'innocence des condamnés. Les médias s'en emparent. Présentant avec complaisance ces hypothèses et ces rumeurs comme l'expression de la vérité, leur jugement est sans appel : Mis et Thiennot ont été victimes d'une erreur judiciaire ! La justice est sommée de présenter ses excuses. Malgré les pressions, la Cour de révision des condamnations pénales sait préserver son indépendance : six requêtes en révision des procès, déposées entre 1983 et 2015, sont rejetées. Pour combien de temps ? Fort du soutien d'une opinion manipulée, une septième requête est annoncée.
Comment cela est-il possible ? Comment un « tribunal populaire » fondant ses certitudes sur une ignorance absolue d'un dossier peut-il ainsi prétendre effacer une vérité judiciaire née de débats loyaux et contradictoires ? À l'heure où la Justice déserte les prétoires pour être rendue sur internet et les « réseaux sociaux », l'affaire Mis et Thiennot incarne les dérives et les dangers qui la menacent.
Avocat honoraire, historien, Gilles Antonowicz poursuit avec Isabelle Marin dans cette enquête percutante un travail l'ayant déjà conduit à l'examen approfondi de grandes affaires judiciaires (La Faiblesse des hommes, histoire raisonnable de l'affaire d'Outreau, Max Milo, 2013, L'Affaire Halimi, Histoire d'une dérive, Nicolas Eybalin, 2014, Maurice Garçon, Les Procès historiques, Les Belles Lettres, 2019, Isorni, Les Procès historiques, Les Belles Lettres, 2021)
En septembre 2008, le président George Bush pouvait encore décrire la crise financière comme un événement localisé à Wall Street. En réalité, cette crise constitua une rupture violente qui eut des répercussions dans le monde entier, des marchés financiers d'Europe et du Royaume-Uni aux usines et aux chantiers navals d'Asie, du Moyen-Orient et d'Amérique latine, entraînant une redéfinition des relations de pouvoir. Aux États-Unis et en Europe, elle entraîna une remise en cause fondamentale de la démocratie capitaliste, ce qui conduisit finalement à la guerre en Ukraine, au chaos en Grèce, au Brexit et à Trump.
Ces événements constituèrent la crise la plus grave dans les sociétés occidentales depuis la fin de la Guerre froide, mais était-elle inéluctable ? Et est-elle derrière nous ?
Crashed est un ouvrage d'un type tout à fait nouveau mettant en lumière des phénomènes jamais analysés : la nature hasardeuse du développement économique et le cheminement erratique de la dette à l'échelle mondiale ; les liens invisibles unissant pays et régions dans des relations d'interdépendance financière et politique profondément inégalitaires ; la manière dont la crise financière a interagi avec l'essor spectaculaire des réseaux sociaux ; la crise de la classe moyenne américaine, l'essor de la Chine, et la lutte mondiale pour les énergies fossiles.
Sur la base de cette analyse, l'auteur s'interroge sur les perspectives d'avenir d'un ordre mondial libre, stable et cohérent.
Le terme de valeurs fuse partout aujourd'hui. Pourtant, nous n'avons aucune prise sur son concept. Si l'on peut s'en faire une idée économique ou philosophique, il est bien difficile de savoir ce qu'est dans sa généralité la valeur. Penser la valeur en général est le défi que se propose de relever cet ouvrage, tiré d'une thèse de doctorat soutenue à l'EHESS en 2010.
Cette tentative de forger une axiologie, c'est-à-dire un discours général sur les valeurs, a pris la forme d'une généalogie parce qu'elle propose au lecteur une enquête historique, des sociétés dites premières jusqu'à nous et, sur le plan des idées, des religions primitives à Heidegger.
Cette Généalogie n'est pas un exercice intellectuel mené en vain. Elle vise en effet à offrir à un monde déboussolé dans son système de valeurs une manière de ressaisir ce qui se joue spécifiquement dans tout acte de valorisation.
De cette Généalogie, il apparaît que le concept de valeur ne peut se comprendre qu'en étant couplé au concept de force.
La valeur est ce lieu par référence auquel la puissance trouve sa mesure. Aussi toute société est-elle définie par une dialectique de la force et de la valeur.
À l'arrivée, La Généalogie de la Valeur propose une compréhension radicalement nouvelle du problème moderne des valeurs - un problème d'autant plus urgent à affronter qu'il est en voie de se mondialiser, après avoir vu le jour en Europe au XIXe siècle.
La spécificité des modernes est d'avoir envisagé une nouvelle compréhension de leur puissance d'agir : une puissance placée sous le signe de la transformation du monde. Mais cette nouvelle vision de la force n'est pas venue spontanément avec une proposition de valeur pour l'ordonner.
De ce manque surgit la configuration inédite du problème de la valeur - un manque qui permet de décoder d'une manière nouvelle l'aventure moderne, la spécificité des dilemmes qu'elle rencontre, et la manière de les repenser dans leur actualité la plus brûlante.
Quel est le point commun entre l'invention de la roue, Pompéi, le krach boursier de 1987, Harry Potter et Internet ?
Pourquoi ne devrait-on jamais lire un journal ni courir pour attraper un train ?
Que peuvent nous apprendre les amants de Catherine de Russie sur les probabilités ?
Pourquoi les prévisionnistes sont-ils pratiquement tous des arnaqueurs ?
Ce livre révèle tout des Cygnes Noirs, ces événements aléatoires, hautement improbables, qui jalonnent notre vie: ils ont un impact énorme, sont presque impossibles à prévoir, et pourtant, a posteriori, nous essayons toujours de leur trouver une explication rationnelle.
Dans cet ouvrage éclairant, plein d'esprit d'impertinence et bien souvent prophétique, Taleb nous exhorte à ne pas tenir compte des propos de certains « experts », et nous montre comment cesser de tout prévoir ou comment tirer parti de l'incertitude.
Premier jet d'une réflexion amorcée en 1869 et publiée à titre posthume en 1879 dans la « Contemporary Review » sous forme inachevée de cinq chapitres, ce texte veut répondre à la question « Est-ce que les constructions théoriques socialistes sont réalisables et bénéfiques ? » et soumettre ces « constructions » (où Louis Blanc a la part belle) à un « examen impartial » dont il résulte :
- une répudiation sans appel du « socialisme autoritaire » (« communisme ») ;
- une bienveillance affichée pour un socialisme « progressif, décentralisé » reposant sur « l'association entre travailleurs », le mouvement « coopératif » et un « partenariat » égalitaire avec les entrepreneurs ;
- mais aussi une critique de ses déficiences : idéalisme parfois béat, catastrophisme, incompréhension des vertus de la libre concurrence et risques liberticides (« tyrannie de la majorité », étatisation de l'éducation, etc.).
Malgré une mise en cause du principe de la propriété privée des moyens de production, Mill reste à distance du socialisme tout en s'affirmant en pionnier d'un libéralisme hardiment réformiste et déterminé à résoudre la question sociale.
Histoire des idées politiques depuis le XVIII e siècle (CLIL 3286)
Jamais les Romains n'ont employé de formule pour désigner ce que nous appelons le « droit pénal ». Devrait-on penser pour autant avec Theodor Mommsen que « le droit pénal romain n'ayant jamais formé un tout, il ne peut être question d'en retracer l'histoire » ? Non, précisément, car l'histoire ne saurait supposer un système doctrinal qui en déterminerait l'objet comme un tout.
En 1951, tournant le dos à son itinéraire l'ayant mené du socialisme national jusqu'à la collaboration idéologique avec Vichy, Bertrand de Jouvenel (1903-1987) publie au Royaume-Uni et en anglais The Ethics of Redistribution.
Dans le prolongement de Du pouvoir (1945) qui lui avait valu une renommée internationale de penseur politique, cet opus, inédit en français, développe avec une sobre alacrité une critique de l'extension du « Minotaure » que représente l'institution naissante de l'État-providence par le biais de la redistribution massive des revenus. Sa thèse : un inquiétant transfert des pouvoirs de décision des individus s'accomplit ainsi au profit de l'État, toujours plus omnipotent. Jouvenel met à mal le mythe d'une redistribution ne sollicitant que les plus riches. La logique fiscale conduit nécessairement à ponctionner aussi les classes moyennes. Une analyse singulièrement iconoclaste et prémonitoire.
De ces Principes dont Schumpeter a dit qu'ils étaient « le traité le plus lu de la période », ce volume propose les passages les plus actuellement significatifs extraits des deux derniers des cinq Livres qui les composent.
Quatre points y méritent de retenir l'attention :
- l'adhésion claire aux principes classiquement libéraux de l'économie politique y est corrigée par l'introduction de notables « exceptions » au respect de la « règle générale du laissez-faire » (Livre V) : Mill s'éloigne d'Adam Smith et Ricardo pour poser les bases d'un libéralisme modérément régulateur ;
- le choix de la 2e édition est motivé par l'irruption remarquée du souci pour les « classes laborieuses » (ch. 7 du Livre IV) : préconisation d'une distribution primaire plus équitable des richesses dès leur production, d'une émancipation par l'éducation ;
- la réflexion iconoclaste sur la désirabilité d'un « état stationnaire » (mais non statique) de la société (ch. 6 du Livre IV), surprenante anticipation des problématiques d'une écologie raisonnée et critique d'une croissance démographique sans fin ;
- la formulation précoce (Livres IV et V) des principes anticonformistes et anti-paternalistes ainsi que d'une défense résolue de la liberté individuelle contre l'étatisme qui donneront lieu dix ans plus tard à la publication d'On Liberty.
Dans les années 1930-40, des économistes, juristes et sociologues allemands d'obédience libérale constatent l'échec d'un libéralisme économique inapte à régler le problème des crises économiques graves qui ont bouleversé l'Allemagne depuis la Première Guerre mondiale. Ils ont alors reconstruit les fondements économiques, juridiques, sociaux et culturels d'une économie de marché dont les bénéfices puissent être rendus accessibles et diffusés à l'ensemble de la société. Cette « économie de marché » prend, après la Seconde Guerre mondiale, l'appellation d'« économie sociale de marché ».
Ses concepteurs, réunis à partir de 1948 autour de la revue Ordo deviennent les « ordolibéraux ».
Pour reconstruire une économie de marché efficiente, les ordolibéraux sont passés par la refondation d'une économie politique aux ambitions à la fois scientifiques, normatives et pratiques.
Cette nouvelle économie politique souhaitait rompre à la fois avec la tradition de l'École classique, avec le déterminisme historique marxiste et le réformisme social de l'École historique allemande, auxquels il était reproché des insuffisances théoriques ainsi qu'une incapacité à fournir des solutions efficaces aux graves crises économiques. L'objectif fut alors de poser les fondements scientifiques et pratiques d'un modèle alternatif au « laissez faire » et au dirigisme économique national-socialiste et soviétique.
Les ordolibéraux dessinèrent alors l'esquisse théorique d'un ordre économique et social fondé sur une économie de marché dont le bon fonctionnement était garanti par un ensemble de règles juridiques claires, idéalement scellées durablement dans le cadre d'une constitution économique.
Dans ce modèle, c'est une liberté concurrentielle non faussée, associée à une liberté des échanges et à une stabilité monétaire et budgétaire qui permet de diffuser de manière durable dans l'ensemble de la société une prospérité portée par les succès en matière de commerce international. Cette prospérité générale rend ainsi marginal, voire caduque, un système de redistribution sociale porté par l'État. Le succès économique de l'Allemagne des années 1950 a été en partie porté par ce modèle.
L'héritage théorique de l'ordolibéralisme est, à l'image de ses penseurs, vaste et divers : constitutionalisme et institutionnalisme, mais aussi économie industrielle et théories du développement durable. Une relecture de ses grandes figures offre matière à repenser les fondements d'une science économique ouverte à une recherche interdisciplinaire.
Le conservatisme n'a pas la vie facile. Il est confondu avec tout ce qu'il n'est pas : immobilisme, réaction, traditionalisme, voire contre-révolution. Sans compter l'influence trompeuse qu'a pu exercer le néo-conservatisme américain. Alors, en quoi consiste le conservatisme et garde-t-il une actualité ?
Pour y répondre, l'auteur esquisse une histoire intellectuelle de la pensée conservatrice, de Cicéron à nos jours. Il souligne les lignes de force (autorité, liberté, bien commun, confiance) qui structurent la pensée conservatrice et lui donnent son authenticité et sa permanence. Politiquement, et cela ressort des travaux des penseurs conservateurs modernes (Strauss, Oakeshott, Kolnai, MacIntyre) le conservatisme est la doctrine politique de l'autorité et l'idéologie du courant anti-idéologique.
Il est, d'une certaine façon, le complément naturel du libéralisme.
Mais le conservatisme ne se résume pas à une doctrine. Il suffit de lire Jane Austen, Chateaubriand, Balzac ou Evelyn Waugh pour comprendre que le conservatisme est aussi un style de pensée, une façon d'appréhender la vie dans toutes ces dimensions : littérature, religion et vie morale, histoire, économie, vie en société.
Doctrine et style, le conservatisme a-t-il un avenir ? Peut-il encore exercer une influence décisive sur la vie politique ? L'auteur estime que oui. S'appuyant sur les travaux de neuf grands penseurs conservateurs du xxe et du xxie siècles, il esquisse cet avenir. Il dépendra crucialement de la capacité à faire vivre une nouvelle alliance du libéralisme et du conservatisme. Et ce conservatisme libéral pourrait constituer une idée neuve en Europe et en France.
Prononcé à l'Assemblée constituante le 12 septembre 1848 lors de la discussion sur l'adjonction d'un article ouvrant un « droit au travail » au projet de nouvelle constitution, ce discours retentissant demeurait jusqu'à présent enfoui dans la compilation des innombrables interventions du député Tocqueville au sein de ses OEuvres complètes : accompagné de ses éclairantes notes préparatoires, il est pour la première fois l'objet d'une publication spécifique.
Ce texte révèle un Tocqueville inattendu, non plus le sociologue et historien mais un acteur profondément engagé dans les affrontements idéologico-politiques consécutifs à la Révolution de 1848 : un orateur et polémiste talentueux aussi peu « académique » et « modéré » que possible, proposant ici un condensé de sa philosophie politique.
C'est une contribution initiale et majeure à un débat de fond qui demeure d'actualité, où Tocqueville expose cursivement les raisons de son opposition tranchée au « droit au travail » et sa logique ; formules choc : son adoption ferait de l'État « le grand et unique organisateur du travail », « le maître et possesseur de chaque homme », le « propriétaire unique de chaque chose ».
C'est aussi l'occasion de découvrir Tocqueville farouche adversaire du socialisme inspirant un tel droit ;
Autres formules choc : le socialisme est « une attaque directe contre la propriété et la liberté individuelles », « une nouvelle formule de la servitude humaine ».
Un proudhon certes foncièrement anarchiste, fédéraliste, anti-étatiste pour tout dire, mais parfois plus proche d'être un libéral anticapitaliste et antibourgeois qu'un socialiste et dont le combat constant pour l'émancipation de la classe ouvrière va de pair avec une rude opposition au communisme.
Voici le proudhon (1809-1865) que ce volume dévoile en bousculant nombre d'idées convenues à son sujet : entre autres, que la propriété est loin d'être forcément un " vol ". ces textes sélectionnés, ordonnés et présentés par vincent valentin, maître de conférences à l'université paris-i, soulignent le caractère complexe, souvent paradoxal et évolutif, d'une oeuvre foisonnante à laquelle le lecteur contemporain n'a plus directement accès depuis longtemps.
Et dont la conception vive de la liberté individuelle qui l'irrigue donne toujours à penser.
Auteur d'une théorie culturelle de l'évolution qui a marqué son temps (J.
S. Mill, Nietzsche, Durkheim, Bergson en furent les commentateurs volontiers critiques), le philosophe et sociologue Herbert Spencer (1820-1903) a depuis été étrangement j oublié, sauf pour être parfois caricaturé en apôtre d'un " darwinisme social " cruel aux pauvres. En revisitant exhaustivement les moments et axes forts de son oeuvre abondante (La Statique sociale, Les Principes de la morale, L'Individu contre l'Etat.
) et se référant constamment aux textes, Yvan Blot entend réparer ces injustices. Spencer est ainsi rétabli en sa qualité de rigoureux penseur d'une théorie sociale, politique et économique fondée sur le principe d'" égale liberté pour tous ", le droit naturel des individus et la coopération pacifique volontaire. Selon lui, l'évolution conduit de la subordination vers la coordination, du statut vers le contrat et vers une réduction de l'emprise de l'Etat.
Yvan Blot restitue ici à Spencer sa part éminente dans la paternité de conceptions individualistes et libérales, à leur époque profondément originales, et qui, un siècle plus tard, irriguent la dynamique de la modernité.
Parmi les moments de l'histoire de France ayant le plus marqué nos mémoires figure l'épisode de la banqueroute de mai 1720 (la fameuse «rue Quincampoix» .) qui ruina des milliers de personnes, suite à l'introduction inédite et fracassante du papier-monnaie par John Law (1671-1730), le banquier d'origine écossaise et bref Contrôleur général des finances, réduit à l'exil.
En retraçant avec soin sa fulgurante ascension politique, Nicolas Buat établit que contrairement à sa réputation sulfureuse d'aventurier et de spéculateur sans scrupule, John Law fut un génie de la finance, un remarquable théoricien de l'économie post-mercantiliste qui tenta de résorber l'immense dette publique de l'époque en créant une Banque royale émettrice de billets se substituant à l'or. Le parallèle esquissé avec la crise financière de 2007 n'est pas fortuit : on y retrouve la plupart des ingrédients qui ont fait la réussite et l'échec du système du premier banquier central de notre histoire, qui se brûla les ailes en actionnant les leviers tout neufs de la création monétaire et du soutien à l'économie.
Au fil de ce récit à suspense qui fait revivre l'épisode haut en couleurs de la Régence de Philippe d'Orléans (au cinéma : « Le Bossu », « Que la fête commence ».) dont le tricentenaire interviendra en 2015, on croise aussi le tout jeune Louis XV, le mémorialiste Saint-Simon, Montesquieu et même Casanova : ce n'est pas l'un de ses moindres intérêts.
Publié en 1961 aux États-Unis sous le titre Freedom and the law, cet ouvrage du philosophe italien du droit Bruno Leoni (1913-1967) garde pour un lecteur français contemporain toute sa forte originalité théorique comme sa capacité de stimulante provocation intellectuelle.
Prenant au sérieux l'idéal des droits de l'individu souverain, l'auteur critique d'abord le caractère arbitraire de la législation positiviste qui renvoie au même schéma étatiste et liberticide que la planification économique. Il lui oppose la conception évolutionniste d'une « rule of law » issue et respectueuse du Droit selon un processus semblable à celui du libre marché. Puis il met en cause le modèle moderne et dominant de la démocratie fondé sur la confiscation du pouvoir par de nouvelles oligarchies politico-bureaucratiques ainsi que sur la « volonté générale », la représentation, la « décision de groupe » et la règle majoritaire - dont la nature collectiviste est jugée attentatoire à l'égalité des chances et la liberté individuelle de choix.
Un texte sobre et tonique d'un précoce libertarien européen, devenu un classique de la philosophie politique tant aux États-Unis qu'en Italie.
André Alciat (1492-1550), fondateur de l'humanisme juridique, est aussi, par ses Emblemata (publiés en latin pour la première fois en 1531 à Augsbourg avec les illustrations de Jorg Breu, réédités enrichis à diverses reprises et traduits en diverses langues jusqu'à la mort de l'auteur), le protos eurétès d'un genre fondé sur l'association dans la page d'un titre, d'une épigramme et d'une image. Ce genre a joui pendant plusieurs siècles d'une fortune considérable dans toute l'Europe et a mobilisé depuis des décennies les travaux de nombreux savants réunis dans une Société internationale.
Il est donc étonnant que jusqu'à présent on n'ait pu lire cet ouvrage fondateur dans sa forme définitive (les deux-cents onze épigrammes qui en composent le full stream) dans aucune édition moderne, et à plus forte raison traduite et annotée : l'édition avec traduction italienne de Maria Antonietta de Angelis (Salerne, 1984) est fondée sur l'édition Steyner de 1531 (104 emblèmes), celle de Mino Gabriele (Milan, 2009), avec traduction italienne également, ne prend en compte que les éditions de 1531 et 1534. Pierre Laurens a publié en 1997, en fac-simile, l'édition complète en se basant sur l'édition lyonnaise Macé-Bonhomme de 1551 (les 211 emblèmes classés par lieux communs, intégrant notamment les 86 nouveaux emblèmes de l'édition aldine de 1546 et illustrés par les vignettes de Pierre Vase) précédée d'une solide préface et pour la première fois suivie d'une concordance entre les différentes éditions, mais elle ne comportait toutefois ni traduction ni annotation. C'est cette lacune (qui ne l'a pas empêchée d'être regardée jusqu'à aujourd'hui comme l'édition de référence), que la présente publication entend remédier.
À la préface originelle de Pierre Laurens, mise à jour et sensiblement enrichie par la discussion des contributions postérieures à 1997, s'ajoute désormais, et pour la première fois dans notre langue depuis le XVI e siècle, une traduction inédite. Pierre Laurens a choisi de rendre justice à ce texte poétique en procurant des épigrammes une version française rythmée et suivie vers à vers. Rédigée par Florence Vuilleumier-Laurens, l'annotation, qui fait une place aux problèmes textuels, éclaire à l'intention du lecteur les principales difficultés historiques ou érudites, mais est essentiellement centrée sur l'identification des sources, certaines connues de longue date grâce aux grands commentaires latins de Mignault, Sanchez, Thuyllius, et d'autres (notamment les sources relevant de l'épigraphie et de la numismatique) fruit de la recherche récente dont les deux auteurs ont pris largement leur part.
Tout le monde évoque aujourd'hui le « gouvernement par les chiffres » ou le « gouvernement par les indicateurs » sans chercher à caractériser précisément ces « chiffres ». C e livre propose de distinguer les chiffres qui sont des mesures (par exemple statistiques) et ceux qui sont des dénombrements (par exemple comptables). C ette distinction permet de suggérer que les premiers perdent aujourd'hui du terrain au profit des seconds qui envahissent les organisations et les politiques.
C ette lecture historique s'inscrit dans la perspective ouverte par un grand ouvrage publié par les Presses de C ambridge en 1987 The Probabilistic Revolution qui fut la pierre fondatrice de la sociologie des statistiques dans le monde ; la formule « contre-révolution comptable » a été forgée dans le prolongement de ces travaux. Dans le champ académique français, Alain Desrosières, décédé en février 2013, était le personnage central incontesté de la sociologie de la quantification, qui disposait d'une notoriété internationale et avait notamment assuré de longue date la jonction avec la dynamique internationale qui s'est prolongée récemment à Berlin.
Dans un style très clair, Fabrice Bardet défend la thèse d'une contre-révolution comptable ayant émergé dans les années 1970 sur la base de l'histoire des vingt premières années de la revue de sociologie de la comptabilité Accounting, Organizations and Society (AOS) fondée en 1976 qui constitue un observatoire de l'invasion comptable à la fois unique et méconnu. L'histoire d'AOS n'a jamais été engagée en France, et de manière très partielle en langue anglaise. Synthétique et unique, ce livre propose ainsi un historique et un état des lieux des chiffres qui gouvernent.
Un prémonitoire pavé dans la mare d'une "liberté numérique" maximale : voici ce que pourrait bien être ce Plaidoyer signé de Lysander Spooner (1808-1887), figure majeure de l'anarcho-individualisme américain.
Paru en 1855 sous le titre The Law of Intellectual Property, ce texte rappelle qu'au coeur du débat sur la légitimité du droit de propriété intellectuelle se trouvent le droit naturel de l'individu et le caractère absolument primordial du consentement des créateurs à tout usage de leurs oeuvres. Si tout travail productif procède d'abord d'une idée, le droit de propriété intellectuelle est la plus haute expression du droit de propriété en général.
Bien que le contexte ait radicalement changé, la rationalité de l'argumentaire de Spooner conserve toute sa pertinence. Face à un insidieux et démagogique processus de collectivisation des oeuvres culturelles, cet opus ouvre des pistes de réflexion fondamentales.
Le titre ne doit pas tromper : dans la perspective de Wilhelm Röpke (1899-1966), l'un des chefs de file de l'influente école allemande de l' "ordolibéralisme" pendant les années 1935-1965, aller "au-delà de l'offre et de la demande" ne revient pas à dépasser et encore moins répudier l'économie de marché, mais à la réintégrer dans un lien social et un ordre moral aux connotations parfois très conservatrices. Et s'il récuse le laissez-faire utilitariste, l'auteur ne ménage pas davantage ses critiques à l'encontre de Keynes et surtout de l'État providence et du "socialisme fiscal" - accusés de conduire à un collectivisme liberticide et ruineux.
Donnant accès à la pensée parvenue à pleine maturation d'un néolibéral "social", cette réédition de la traduction de Jensseits von Angebot und Nachfrage (1958) jamais republiée depuis 1961 vient d'autant plus à son heure qu'elle éclaire le sens originel de l'idée d' "économie sociale de marché" (dont Röpke fut, avec Walter Eucken et Ludwig Erhard, le promoteur intellectuel) convoquée dans les récents débats sur la Constitution européenne puis ceux relatifs à la crise économique commencée en 2008.
Les Pamphlets de Bastiat (1801-1850) édités sour ce titre en 1850 et complétés par le célèbre Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas excèdent en réalité le genre pamphlétaire convenu. Ce sont autant de brefs mais denses essais à visée pédagogique conjuguant critique de la spoliation impliquée par les projets étatistes et socialistes au moment de la révolution de 1848, et esquisse d'une théorie libérale de la justice sociale attachée à promouvoir la liberté individuelle dans les champs les plus variés de la vie économique et parfois bien au-delà : la solidarité, la fonction de l'argent, l'exercice du droit de propriété, l'enseignement, l'intervention de l'État, l'impôt, les rapports entre le droit et la loi...
Déjà classiques outre-Atlantique, ces pamphlets incisifs et jubilatoires constituent un apport original à la théorie économique et posent les jalons d'une véritable théorie de la justice.
« La faute au laissez-faire ! », a entonné tout le monde lors de la récente crise économique. Heureusement, « le laissez-faire, c'est fini », a annoncé Nicolas Sarkozy. Donc, il n'y aura plus de crise ?
Pourtant, la crise n'est pas finie. Elle se manifeste dans les soubresauts de la Bourse autant que dans l'incapacité des États à payer leur dette et à maîtriser leur déficit.
Ce livre nous amène où la crise est apparue à l'été de 2007, c'est-à-dire dans le marché, américain surtout, des titres adossés à des créances hypothécaires. Ce marché de même que celui de l'immobilier résidentiel en général, l'État américain les avait pris sous son aile. Comme disait George Bush en 2002, « quand quelqu'un souffre, il faut que l'État bouge ». Il y a toujours des gens qui souffrent et l'État s'agite sans cesse. L'Amérique est-elle vraiment si différente de la France ?
Une crise du laissez-faire ? Les faits et les statistiques parlent d'eux-mêmes. C'est d'une autre crise qu'il s'agit. Mais laquelle ?
En tentant de répondre à ces questions, Pierre Lemieux nous entraîne dans une exploration des théories macroéconomiques et dans un examen du xxe siècle, dont Mussolini rêvait qu'il fût « le siècle de l'État ». Un livre essentiel pour comprendre la finance, l'Amérique, la France, et la vraie crise qui dépasse à toute vitesse le train à l'arrêt.
Déjà classique outre-Atlantique, l'oeuvre capitale de Frédéric Bastiat suscite enfin en France l'intérêt qu'elle mérite. Réédités, dès 1964 en langue anglaise, les Sophismes économiques de Frédéric Bastiat n'étaient plus disponibles en langue française dans leur texte intégral depuis l'édition Paillottet des oeuvres complètes publiée chez Guillaumin (1854-55).
Alors que, de nos jours, trop d'économistes se complaisent à produire des ouvrages dont l'obscurité dissimule l'étatisme, Frédéric Bastiat nous rappelle que l'économiste a d'abord pour fonction de mettre en lumière ces rhétoriques irrationnelles qui invalident les politiques économiques. S'inscrivant dans la lignée de la littérature libérale née sous la censure impériale et royale avec les chansons de Béranger et les apologues de Paul-Louis Courier, c'est donc sous une forme littéraire dialogique autant que logique que Frédéric Bastiat choisit de présenter les vérités fondamentales de l'économie politique.
Alors que Guizot s'en était tenu à des considérations naïves sur le gouvernement représentatif avant d'en empêcher l'épanouissement sous la monarchie de Juillet, le futur député républicain Frédéric Bastiat, en stigmatisant la privatisation rampante de l'État par les groupes de pression industriels et agricoles, esquisse une véritable théorie libérale de la justice.
Démystifiant le sisyphisme des politiques de l'emploi et la spoliation légale qu'elles induisent, Bastiat démontre que ce sont les pays et les catégories sociales les moins favorisés qui gagnent le plus à la liberté des échanges. Aussi, le lecteur d'aujourd'hui ne trouvera pas d'argumentaire plus essentiel contre le dernier avatar du protectionnisme, l'altermondialisme, que les Sophismes économiques de Frédéric Bastiat.
Inoubliable rédacteur de la Déclaration d'indépendance (1776), ambassadeur en France de 1785 à 1789 puis troisième président des États-Unis de 1800 à 1808, Thomas Jefferson a aussi été l'auteur de multiples textes - discours et correspondances - d'une portée capitale en philosophie politique mais dont beaucoup n'étaient pas jusqu'alors disponibles en français. Il s'y fait l'ardent avocat d'un exigeant idéal d'inspiration lockéenne fondé sur les droits naturels de l'individu sur sa vie, sa liberté et sa propriété - garantis par la constitutionnalisation d'un État fédéral aux pouvoirs limités.
De la tension entre des préoccupations « whig » (libérales) et républicaines résulte une pratique politique guidée par la volonté de contenir les prérogatives d'un pouvoir forcément imparfait : séparation de l'Église et de l'État (liberté de culte), contrôle des gouvernants par les gouvernés (consentement des citoyens, confiance dans le peuple), respect de la plus large autonomie des États fédérés par un « gouvernement sage et frugal » seulement voué à favoriser la poursuite du bonheur par chacun.
Des Écrits qui constituent une clé indispensable à la bonne compréhension des débats qui animent l'Amérique contemporaine, où Jefferson demeure une référence privilégiée.